En attendant le Massacre

Échos de Palestine

"A partir de maintenant, les mots doivent avoir la même fonction que les balles. On doit passer de l'allusion pudique à l'accusation ouverte. Les masses doivent connaître toutes les vérités et toute la réalité quelle que soit leur amertume."

1.

A partir de maintenant, les mots doivent avoir la même fonction que les balles. On doit passer de l’allusion pudique à l’accusation ouverte. Les masses doivent connaître toutes les vérités et toute la réalité quelle que soit leur amertume.

2.

A travers la mise en pratique du compromis en cours, la véritable défaite aura lieu en 1970 ; car elle implique la liquidation de la résistance palestinienne qui est potentiellement le début de tous les véritables combats futurs des masses arabes. La défaite de 1967 est exclusivement celle des classes bureaucratiques militaires arabes,même si le mouvement des masses n’est pas encore parvenu à leur faire payer la note. Celle de 1970 sera notre propre défaite.

3.

Pourquoi toutes les parties de la contre-révolution arabe et mondiale mettent-elles tant de zèle à précipiter un règlement rapide au conflit qui oppose l’État d’Israël aux États arabes ? Nombreuses sont les raisons qui poussent Arabes, Russes, Américains et Israéliens à conclure un accord qui puisse sauvegarder l’essentiel de leurs intérêts mutuels. Mais la raison décisive, le dénominateur commun qui unit tous les protagonistes, reste «la peur de la radicalisation des masses» comme l’atteste le document sur la rencontre Goldmann-Hassan II, aussi bien que les confidences des diplomates soviétiques. Une simple lecture de la grande presse mondiale confirme l’analyse de Nahum Goldmann, parue dans «le Monde» du 30 mai 19701Dans l’article en question, Nahum Goldmann affirme que « L’espoir de prolonger le statu quo est à mon avis, une dangereuse illusion. Ni les Arabes ni les puissances étrangères n’accepteront le fait accompli, surtout devant la menace grandissante des mouvements terroristes arabes. Il faudrait dès lors changer de cap, sacrifier le slogan de  » l’union sacrée  » pour faciliter une nette prise de position en faveur d’un règlement Même si l’on est convaincu que les Arabes n’accepteront pas dans un proche avenir de conclure une paix formelle, je pense que nous devons prendre le risque d’une décision et indiquer clairement ce que nous souhaitons obtenir pour assurer les intérêts vitaux d’Israël. » . Quant à Washington, elle a, depuis l’avènement de Nixon, pour mot d’ordre «Éviter un nouveau Vietnam», étant militairement et économiquement incapable d’affronter victorieusement plus d’un Vietnam.

4.

Toutes les directions de la résistance n’ont jamais cessé de se bercer de l’illusion que «le Kremlin est en fin de compte avec la révolution». Les faits pour ne citer que les derniers en date se chargent de démentir
de telles illusions qui ne sont que l’expression d’un stalinisme qui se veut critique : La classe bureaucratique qui gouverne l’URSS a pour stratégie le maintien du statu-quo et la coexistence pacifique pour ne pas dire amicale avec la contre-révolution impérialiste. Sous Staline, le Kremlin n’avait pas d’autre politique, mais la couvrait d’une fermeté phraséologique. Aujourd’hui,la classe bureaucratique qui est arrivée à harmoniser son idéologie avec sa pratique n’a même plus besoin de ce couvert mensonger. Cela ne signifie nullement qu’il n’y a pas de contradictions même parfois aigües entre le Kremlin et la Maison Blanche. Mais il s’agit de contradictions concurrentielles en vue de se partager les marchés et les zones d’influence à travers le monde ; elles ont été, jusqu’à présent résolues sur la table des négociations et non sur le champ de bataille, toujours et fondamentalement aux dépens de la révolution internationale et des peuples opprimés. Le marché soviéto-américain, conclu en vue de la double liquidation celle physique de la résistance, et politique des droits nationaux du peuple palestinien et des aspirations des masses arabes à se libérer des intérêts impérialistes et de toutes classes qui les oppriment est la preuve la plus récente de la nature contre-révolutionnaire du capitalisme bureaucratique d’État, à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie.

5.

Le comble du ridicule est atteint quand certaines organisations notamment El-Fath comptent sur l’intransigeance des dirigeants israéliens pour refuser la solution pacifique et permettre ainsi l’éclatement d’une crise révolutionnaire. Au lendemain de l’acceptation par Nasser du Plan Rogers, «Fath» se contente de déclarer : «le refus israélien se chargera de torpiller le Plan Rogers», au lieu d’en appeler aux masses, qu’on laisse encore sans armes, pour le «torpiller» réellement. Un tel «calcul» dévoile, encore une fois, la profondeur de la stupidité politique des directions palestiniennes. Contrairement à une opinion courante au sein de la résistance, entretenue par la presse arabe, les conquêtes territoriales qui furent l’objectif du mouvement sioniste, quand ses adeptes étaient «un peuple sans terre», ont perdu de leur importance, maintenant qu’Israël est une «terre sans peuple suffisant», et une économie développée privée d’un vaste marché de consommateurs. Ce qui importe au capitalisme israélien est aujourd’hui « la paix», des frontières sûres, fermées aux Palestiniens, reconnues par les Etats arabes et «ouvertes à la libre circulation des personnes et des marchandises » (A. Eban, « Le Monde», 25-7-70)

6.

Les éléments lucides parmi les hommes d’État israéliens ont trouvé la «solution finale» du problème palestinien dans la création d’un État palestinien arabe digne de ce nom sur les deux rives du Jourdain (voir les confidences de Dayan révélées par J. Lacouture dans le «Nouvel Observateur» du 19-7-70, et sa déclaration où il accepte le Plan Rogers : «Je considère très important de se comporter de manière à ne pas perdre la possibilité du dialogue avec les Palestiniens de la Cisjordanie, car c’est avec eux que nous devrons vivre pour le mieux et pour le pire et nous devrons reconnaître ce fait.»)

7.

Cet Etat palestinien préconisé par Dayan ne manquera pas de candidats parmi les directions de la résistance palestinienne, notamment celle d eFath. Que les bases de la résistance sachent que, dorénavant, l’ennemi le plus redoutable est à l’intérieur de nos frontières et au sein même de nos rangs. Il est significatif de relever ici le témoignage apporté par Hassan II qui, après avoir rencontré Goldmann, déclara à J.Daniel («NouvelObservateur» du 6-7-70) qu’il est plus que jamais convaincu de l’urgence et de l’importance des efforts qui contribuent à renouer le dialogue judéo-arabe à l’intérieur de la Palestine. «J’ai discuté avec les dirigeants de Fath et je crois qu’ils sont lucides». La «modération» de Fath dont l’objection la plus sérieuse semble être son éloignement de la table des négociations ne fait plus de mystère même pour les journalistes les plus attardés.

8.

De par leur nature de classe, leur retard chronique, économique et technologique, tous les régimes arabes sont incapables d’affronter victorieusement Israël dans une guerre classique. Ce genre de guerre entre un pays développé et un autre sous-développé est devenu anachronique. Ce n’est pas par hasard si la Chine bureaucratique se prépare à reprendre sa stratégie de la longue guerre populaire en cas d’invasion russe ou américaine. Pour les masses des pays sous-développés, le seul moyen de se libérer de leurs oppresseurs nationaux et étrangers reste la lutte révolutionnaire armée. Les régimes arabes qui n’ont rien à voir avec une telle lutte, considèrent au contraire que l’armement et l’auto-organisation des masses est la corde avec laquelle ils seront pendus. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à composer avec leur pseudo-ennemi afin d’étouffer leur véritable ennemi : les masses ouvrières et paysannes révolutionnaires.

9.

C’est seulement en armant et en organisant les masses au sein de conseils ouvriers, paysans et populaires (dans les camps de réfugiés et dans les villes), démocratiquement élus, que la résistance peut s’élever au niveau de ses tâches historiques ; alors, les moyens correspondront à la fin poursuivie : non la «liquidation des traces de l’agression» mais celle de ses causes principales : les régimes arabes établis, les intérêts impérialistes et l’Etat d’Israël. La dernière bataille décisive de la révolution arabe sera contre l’Etat d’Israël et ce après avoir réuni les instruments essentiels de la victoire : une armée révolutionnaire arabe, une guerilla qualitativement et quantitativement développée et une milice populaire en un mot, le peuple en armes. Pour y parvenir, il est nécessaire d’abattre la muraille de Chine que constituent
les régimes arabes établis, et de nationaliser immédiatement le pétrole arabe.

 

10.

Sachons gré à Nasser de s’être chargé de démentir la thèse des théoriciens du dernier quart d’heure, qui divisent les régimes arabes en deux camps : celui des «patriotes anti-impérialistes et amis de la résistance» et celui des «réactionnaires qui, de connivence avec la contre-révolution, préparent la liquidation de la résistance»… Maintenant, tout est clair,sauf pour ceux dont les yeux sont atteints de jaunisse. Tous les régimes arabes, à des degrés divers, sont contre-révolutionnaires. A travers les régimes traditionnels, l’impérialisme fait passer directement ses plans, et à travers les régimes militaires «patriotiques», les deux impérialismes (russe et américain) font passer le compromis auquel ils arrivent (Plan Rogers,entre autres), afin de freiner le mouvement révolutionnaire et de l’abattre par la suite.

11.
Rares sont les éléments parmi les dirigeants de la résistance qui étaient effectivement conscients — et donc qui s’y préparaient réellement — de l’inéluctable affrontement sanglant avec les régimes «patriotiques». Jusqu’à ce jour,aucune organisation palestinienne n’a osé mettre Nasser au banc des accusés. Les plus audacieuses d’entre elles se contentent d’allusions pudiques à peine critiques. Quant à G.Habache, il a refusé (dans sa conférence de presse) de considérer Nasser comme un ennemi de la résistance, car celle-ci n’a, d’après lui, qu’un seul ennemi : l’impérialisme. Comme si c’était l’impérialisme qui avait annoncé du Caire son acceptation du Plan Rogers et supprimé les émissions palestiniennes, et non pas le «Raïs de la Nation arabe», ce gel qui étouffe le printemps des peuples arabes !De même, la «gauche» et la droite de la résistance communient dans le silence sur le rôle abject des tsars de la bureaucratie de Moscou dans la préparation de l’assassinat de la résistance et de la révolution arabe. C’est sûrement là le fameux «soutien soviétique» aux peuples arabes dont se gargarisent les partis staliniens arabes et,avec eux, certaines organisations de résistance. Peu d’hommes arrivent à se débarasser des illusions de leur époque. Et ce n’est pas la première fois que la résistance est victime de ses propres illusions et de celles des autres.

12
Jusqu’à présent, la plupart des directions palestiniennes sous-estiment,voire opposent, l’étude de la pensée et de l’histoire révolutionnaire au fétichisme de l’activité militairepuresousformed’opérations suicide, sans aucune perspective stratégique. Ainsi,ces opérations sont-elles devenues l’un des facteurs essentiels de pression qui ont accéléré le processus du règlement pacifique. Pis encore, au sud du Liban elles ont abouti à une catastrophe pour la résistance, prise dans le piège d’un affrontement, politiquement mortel, avec l’armée israélienne. Alors que la véritable tâche de la résistance, comme nous l’avons écrit plusieurs fois, consistait d’abord à s’implanter parmi les masses et à gagner leur sympathie
et leur adhésion organisée, en vue de renverser, le moment venu, le rapport de force militaire avec l’adversaire, la résistance n’a pas trouvé mieux que de combattre pour combattre. Tout en ne cessant de prêcher «la création d’un Vietnam arabe»,les chefs de la résistance semblent ignorer jusqu’aux principes les plus élémentaires de l’expérience vietnamienne. Avant de reprendre sérieusement la lutte armée et de créer le FNL, les révolutionnaires vietnamiens,devant lesquels les chefs de la Résistance doivent s’incliner modestement, n’ont pas mis moins de six ans de préparation politique. Quant aux multiples «fronts» de la résistance qui poussentcommedeschampignons,ilsannoncentpublicitaire-
mentleuractedenaissancepardescoupsdefeu,le
plussouventàcaractèreterroriste(Rome,Zurich,Athè-
nes,Munich etonenpasse).

13
Le désarroi qui s’empare des dirigeants de la résistance à l’occasion de chaque crise dévoile, à l’évidence,
leurs possibilités réelles de pouvoir s’en sortir lors de la crise finale.

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